Fin avril, le Col­lec­tif Amiénois de Vig­i­lance Antifas­ciste a invité Sébastien Vignon et Emmanuel Pier­ru, soci­o­logues, pour ani­mer un ate­lier de for­ma­tion dont l’ob­jet était l’a­vancée du vote FN dans les zones rurales. Après les élec­tions prési­den­tielles de 2002, mar­quées par la présence de Jean-Marie Le Pen au sec­ond tour, ces chercheurs ont choisi de men­er une étude à long terme sur les votes fron­tistes dans la Somme(1), où ses meilleurs résul­tats ont été enreg­istrés dans les cam­pagnes. Afin de met­tre en rap­port ce choix de vote et les con­textes socios-ter­ri­to­ri­aux, leur analyse s’est focal­isée sur deux com­munes, préférant une approche ethno­graphique à la com­pi­la­tion d’en­tre­tiens de mil­i­tants politiques.
Ces quelques lignes ne con­stituent pas une resti­tu­tion exhaus­tive et fidèle de l’ex­posé : y sont rap­portés les points qui nous ont le plus marqués.

Dans les années 1980, le Front Nation­al engrange de bons scores dans les can­tons amiénois, notam­ment Amiens-Sud, tan­dis qu’il y a un déplace­ment du vote fron­tiste vers les zones péri-urbaine (Boves, Villers-Bre­ton­neux) pen­dant la décen­nie suiv­ante. En 2002, la ten­dance est à la baisse en ville et dans les zones périphériques, mais le FN pro­gresse con­sid­érable­ment dans les com­munes rurales, à l’est du départe­ment. Au sec­ond tour des prési­den­tielles, mal­gré les rassem­ble­ments nationaux anti-Le Pen, cette avancée se con­firme large­ment dans les com­munes de moins de 200 habi­tants. En 2012 Marine Le Pen, à la suite de son père, y béné­fi­cie du même sou­tien élec­toral. Détail intéres­sant, ces aires géo­graphiques sont les anci­ennes zones de force du par­ti Chas­se, pêche, nature et tra­di­tions(2).

Plusieurs hypothès­es sont pro­posées pour expli­quer le suc­cès de l’ex­trême-droite dans ces espaces ruraux.
La dépaysan­ni­sa­tion pro­gres­sive a mod­i­fié le paysage social des com­munes. S’y ajoute la dis­pari­tion des ser­vices publics et des com­merces de prox­im­ité, donc de l’é­conomie vil­la­geoise, qui provoque une déli­ai­son sociale notable. Les man­i­fes­ta­tions, comme les fêtes de vil­lage, et les struc­tures (fan­fares munic­i­pales) cen­sées main­tenir ou réac­tiv­er les liens entre les indi­vidus sont de moins en moins mobil­isatri­ces, quand elles ne sont pas vic­times d’une pro­fes­sion­nal­i­sa­tion accrue (sapeurs-pom­piers) ou d’une remise au rang du folk­lore (jeu de longue-paume).
Con­join­te­ment, l’ar­rivée de nou­veaux habi­tants entraîne une décote des pra­tiques locales social­isantes. La rup­ture de l’ex­i­gence de con­for­mité à ces habi­tudes cause une désagré­ga­tion de l’idée d’un col­lec­tif, devenu ouvri­er. Ceci s’ac­com­pa­gne de l’émer­gence de ressen­ti­ments fruit d’une « insécu­rité sym­bol­ique » : les amal­games type « chômeurs=assistés », ou les idées réduc­tri­ces comme celle de la dan­gérosité des « jeunes », glan­deurs, squat­tant les arrêts de bus car chômeurs, sont allè­gre­ment véhiculés par les médias de masse qui ini­tient et/ou con­for­tent ces peurs.
Ces élé­ments n’ex­pliquent pas à eux seuls l’a­vancée du Front Nation­al dans les cam­pagnes. L’idée d’un vote charis­ma­tique ou à dis­tance est à rel­a­tivis­er. La mobil­i­sa­tion poli­tique de prox­im­ité est un des atouts de ce par­ti(3). Pour peu que l’u­nique lieu de social­i­sa­tion (le bar, par exem­ple) soit tenu par un mil­i­tant FN, c’est son cap­i­tal d’au­tochtonie qui con­stitue le meilleur appui pour la dif­fu­sion des thès­es d’extrême-droite.

Ces pre­miers points pré­cieux de réflex­ion nous oblig­ent à recon­sid­ér­er nos pra­tiques et nos modal­ités de lutte con­tre le Front Nation­al. Démas­quer publique­ment la vacuité et l’im­pos­ture des idées fron­tistes est néces­saire, mais pas suff­isant. L’im­plan­ta­tion locale du FN nous mon­tre bien que la seule réponse envis­age­able d’une part à son expan­sion, et plus glob­ale­ment, à tous les sys­tèmes de dom­i­na­tion, passe par la réal­i­sa­tion de réelles alter­na­tives en acte.

Ref­er­ences

Ref­er­ences
1 782 com­munes com­posent ce départe­ment, dont 40 % de moins de 2000 habi­tants, et dont 58 % n’ap­par­ti­en­nent pas à une aire urbaine.
2 Les études sta­tis­tiques se font au niveau des bureaux de votes, et non au niveau des indi­vidus : il est impos­si­ble d’af­firmer mécanique­ment que les indi­vidus ayant voté CPNT ont par la suite voté FN.
3 qui reste le seul à être sur le terrain !