L’immersion récente du groupe Alexandre Marius Jacob dans l’univers associatif et militant amiénois, via sa participation au CDDF, expose nécessairement à des confusions. C’est pourquoi il est nécessaire d’effectuer quelques rappels.
Le premier point, important à souligner car l’erreur est aussi véhiculée par certains anarchistes, est le suivant : les mouvements libertaires NE composent PAS l’extrême extrême-gauche, ni l’extrême-gauche, ni aucun quartier du champ politique réduit au parlementarisme et à la compétition des partis. Cette tentative de géolocalisation n’est pas innocente puisqu’elle permettrait de légitimer le système politique actuel : quelles que soient les idéologies (fasciste, conservatrice, socialiste, communiste et donc, si l’on en croit la rumeur, anarchiste), toutes s’inscriraient dans cet espace de jeu aux règles électorales communément admises. Donner à penser l’activité politique comme circonscrite à un dépôt de bulletin, à quelques activités associatives ou syndicales est le meilleur moyen pour maintenir la frontière entre profanes et « adoubés », grâce, entre autres, à la professionnalisation de la politique. Dans ces conditions quoi de plus normal que les médias grand-public ressassent à l’envie l’amalgame anarchisme-extrême-gauche ? S’il est permis de douter de la probité intellectuelle de ces chiens de garde, il serait imprudent de leur prêter une naïveté bon-enfant.
Il y a quelque temps, à la fin d’une réunion, au fil d’une discussion amicale, une camarade posait spontanément la question des anarchistes de gauche et des anarchistes de droite. Et immédiatement se répondant à elle-même, elle reconnaissait que la gauche et la droite sont des catégories produites par une certaine doctrine et qu’elles sont inopérantes en anarchie. On peut compléter cette assertion et ouvrir sommairement quelques perspectives : quid de libertarien et de libertaire ? « Anarchiste » ayant été cuisiné à toutes les sauces certains préféreront « libertaire », ça tâche moins. Quant à « libertarien » un équivalent pourrait être « anarcho-capitaliste ». C’est-à-dire un oxymore comme chrétien-athée, partage-capitaliste, militaire-pacifiste…
Ce qui amène au point suivant : à défaut d’affirmer ici ce qu’est l’anarchie, l’idée est de relever ce qu’elle n’est pas. L’anarchie n’est pas l’anomie. Une très belle réussite du désOrdre-Par-l’Autorité est d’avoir mis à l’index les anarchistes, l’anarchisme, et l’anarchie. Reléguée au rayon extrémiste — voire terroriste, l’anarchie est frappée d’anathème, et le terme en lui-même est couramment employé comme synonyme de chaos, désordre, bazar, c’est-à-dire un ensemble de notions prises dans leur acception péjorative. Désigner l’ennemi, ostraciser un groupe — « eux » — justifie la constitution d’un « nous » et autorise, dans ce cas, le renforcement du pouvoir en place ; à cet égard les lois scélérates (1893–1994) n’ont pas juste servi de simples éléments décoratifs du code pénal !
Il n’y a pas un anarchisme. Il y a des tentatives, des échecs, et des réussites. Bien loin des luttes inter et intra-partidaires, la multiplication des organisations anarchistes montre qu’il n’y a pas de réponse uniforme aux questions de l’autorité, du pouvoir et donc de l’organisation. Cette diversification des expériences témoigne de la vitalité du mouvement. Les angles d’actions sont nombreux pour terrasser la bête infâme (évitant qu’elle ne redevienne immonde) : en ce sens, la Fédération Anarchiste est synthésiste : elle fédère des anarchistes individualistes, des communiste-libertaires et des anarchosyndicalistes. Avec pour postulat la libre association des individus et comme but la réalisation d’une société libre, la rencontre des diverses pratiques et la mise en commun des activités théoriques renforcent la cohérence et la pertinence de l’ambition anarchiste.