Le samedi 07 octobre 2017, le groupe libertaire Alexandre Marius Jacob, et LE POING, le journal qui ne prend pas de gants, ont organisé, pour le centenaire de la Révolution russe de 1917, une journée de conférences et de concerts, agrémentée d’une exposition de peintures et de sculptures, d’un atelier-découverte de sérigraphie et de plusieurs tables de presse. L’événement, qui a eu lieu à Amiens, avait pour objectif de mettre en lumière la participation et le point de vue des anarchistes sur un épisode qui a marqué durablement l’Histoire : loin des mythologies et folklores partisans, il s’agissait de souligner les faits oubliés, volontairement ou non.
Quatre conférences se sont ainsi succédées.
Après une introduction (1) d’un camarade du groupe Alexandre Marius Jacob, Alexandre Skirda, historien spécialiste du mouvement libertaire et de la Révolution russe, a commencé par un rappel nécessaire des faits et, à l’aide d’un documentaire vidéo, il a présenté le parcours exceptionnel de Marcel Body(2), militant communiste puis libertaire, témoin privilégié et protagoniste proche des dirigeants bolcheviques de cette période. Dans un second temps, les conditions qui ont rendu possible le soulèvement d’Octobre 1917 ont été exposées par Guillaume Davranche, avant que René Berthier n’intervienne sur la réussite et les échecs de cette action révolutionnaire. Après un débat et une courte pause, Hélène Hernandez a présenté le contexte social et politique de l’époque, très violent et discriminatoire, et elle a amené la discussion sur le rôle des femmes dans la Révolution, qu’il s’agisse de figures connues, telles que Vera Figner(3), Maria Nikiforova dite Matriochka(4), ou bien anonymes.
Les nombreuses personnes du public (et bien entendu les organisateur.trice.s) ont visiblement été enthousiasmées par la pertinence des interventions et elles ont profité de l’entracte avant la soirée pour refaire une santé à leur bibliothèque auprès des tables de presse des différentes organisations libertaires présentes (Alternative libertaire, Confédération nationale du travail et Fédération anarchiste) et des éditions Libertalia. Curieux.ses et connaisseur.ses ont trouvé leur bonheur dans les livres anciens et/ou rares proposés par des camarades libraires indépendants. Les visiteur.se.s les plus créati.ve.s se sont essayé.e.s à la sérigraphie makhnoviste grâce aux Editions du Monstre et ont pu apprécier et discuter de ses œuvres avec Benoît Drouart. Du côté du bar, il était possible de se restaurer et de goûter, la Spéciale Octobre 17, bière brassée pour l’occasion par les camarades du collectif L’Amarante.
La soirée a débuté par la réinterprétation toute en tension de la Chanson de Craonne par Céline F. Puis le groupe amiénois expérimental Geist Bist Du Da ? a accompagné en live la projection de la Grève d’Eisenstein, plongeant les spectateur.trice.s dans une ambiance industrielle tantôt oppressante, tantôt envoûtante. Enfin, pour clôturer la journée, le groupe de punk rock belge René Binamé est venu interpréter un répertoire rouge et noir, comprenant une très vivifiante version de la Makhnovtchina !
L’affluence et la très bonne ambiance collective ont fait de ce samedi une vraie réussite politique. D’une part cet événement marque un jalon dans la poursuite d’un travail d’unification du mouvement libertaire au travers d’actions concrètes. D’autre part il démontre l’importance capitale de ré-établir des ponts entre différentes pratiques révolutionnaires qu’elles soient pédagogiques ou artistiques. Enfin, l’anarchisme, ensemble de théories et pratiques politiques internationalistes, antimilitaristes et autogestionnaires, a démontré encore une fois la pertinence et la vitalité de son projet social émancipateur.
References
↑1 | Texte d’introduction de la journée du 07 octobre 2017. 1917–2017, cent ans de lutte contre le capitalisme et l’oppression. “Il y a cent ans, à l’Est se levait un soleil prometteur, un fantastique et énorme espoir pour la classe ouvrière et les opprimés du monde entier. Il semblait qu’un monde nouveau était en création, que tous allaient pouvoir construire enfin une société juste, sans classes, sans état et où les travailleurs eux-mêmes pourraient prendre en main leur futur. Après l’effondrement de l’Etat russe, se créent des structures nouvelles, les soviets, où les travailleurs géraient eux-mêmes leurs usines, leurs ateliers, leurs cités, leurs champs et leurs vies. Hélas, cet espoir n’a pas duré bien longtemps, et très vite la désillusion et l’horreur ont pris le pas sur l’avenir radieux, et se mettait en place un des pires systèmes d’oppression et d’exploitation dans l’histoire. Nous voudrions aujourd’hui relater ces faits, les expliquer, les analyser, étudier les erreurs commises. Tenter, en étudiant le passé, de nous donner des armes pour construire un futur meilleur, et aussi démontrer le rôle et l’implication importantes des anarchistes dans la Révolution russe. Aujourd’hui l’URSS n’existe plus, mais un autre système capitaliste sauvage et autoritaire a pris le relais. La Nomenklatura est passée du socialisme réel au capitalisme le plus obscène. Nos invités et intervenants vont essayer de nous éclairer sur le mythe bolchevik et le système du mensonge déconcertant, comme l’appelait Anton Ciliga. Depuis cent ans, la lutte contre le capitalisme et l’oppression n’a jamais cessée, elle a pris des formes diverses et variées, elle a connu des erreurs tragiques et des trahisons honteuses. Ainsi ceux qui se prétendaient l’avant-garde éclairée du prolétariat et qui construisaient le bonheur des masses, on été les fossoyeurs de la révolution sociale. En utilisant la duperie, le phagocytage, le mensonge et la répression aveugle, ils ont discrédités l’idée même de la Révolution. La Révolution et l’émancipation des travailleurs est une idée toujours vivante, toujours debout, avec ses chemins tortueux, ses difficultés, parfois une certaine forme de résignation ou de désespoir. Mais la lutte des classes et des opprimés est toujours bien vivante, et le monde nouveau que nous portons dans nos cœurs est toujours à construire. Alors souvenons nous de l’histoire et des valeurs de nos anciens pour ne pas commettre de nouvelles erreurs. L’émancipation des travailleurs sera toujours l’œuvre des travailleurs eux-mêmes. Salutations fraternelles et libertaire.” |
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↑2 | Bernard Baissat et Alexandre Skirda. Écoutez Marcel Body, vidéo, 55 min., 1984. |
↑3 | Vera Figner, Mémoires d’une révolutionnaire. Traduit par Victor Serge, Mercure de France, collection “le temps retrouvé”, 2017. |
↑4 | Mila Cotlenko, Maria Nikiforova, la révolution sans attendre, L’épopée d’une anarchiste à travers l’Ukraine (1885–1919) Mutines Séditions, 2015. |