Fin octo­bre, le col­lec­tif lib­er­taire d’Amiens organ­i­sait une réu­nion sur le thème de la tech­nolo­gie et des mod­i­fi­ca­tions sociales qu’en­traî­nait le « pro­grès technologique ».
Le débat fut riche en arguments,et après que l’a­mal­game tech­nolo­gie-tech­nique eut été con­som­mé, un élé­ment com­mun est ressor­ti des dif­férents témoignages : la trans­for­ma­tion du tra­vail par le change­ment des tech­niques s’est sou­vent accom­pa­g­née d’une diminu­tion con­séquente des postes, de la mod­i­fi­ca­tion rad­i­cale ‑voire de la dis­pari­tion- de procédés de fab­ri­ca­tion ou de modal­ités d’ac­tion vécue comme la dépos­ses­sion d’un savoir-faire, et de la mul­ti­pli­ca­tion des moyens de sur­veil­lance mis à dis­po­si­tion des con­tremaîtres et chefs en tout genre.
L’au­toma­ti­sa­tion des tâch­es s’ac­com­pa­g­nant de l’in­for­ma­ti­sa­tion, l’outil infor­ma­tique fut aus­si au cen­tre d’une dis­cus­sion soutenue, dont cer­tains points méri­tent d’être repris, ordon­nés et dévelop­pés dans une per­spec­tive libertaire.

L’in­for­ma­tique, ou traite­ment automa­tisé de l’in­for­ma­tion, s’est dévelop­pée au grès des parte­nar­i­ats et des com­péti­tions entre l’ar­mée, la recherche uni­ver­si­taire et les entreprises.
Prin­ci­pale­ment, c’est le tra­vail col­lab­o­ratif entre chercheurs et pas­sion­nés qui a ren­du pos­si­ble l’amélio­ra­tion de ce nou­v­el out­il, son acces­si­bil­ité, et l’ar­rivée des pre­miers ordi­na­teurs per­son­nels à la fin des années 70.
Mais si le partage des savoirs et la recherche de stan­dards com­muns avaient pu sem­bler être la règle tacite dans un pre­mier temps, le dépôt de brevets tout azimut à très rapi­de­ment changé la donne.

De manière générale, l’ex­péri­ence de l’in­for­ma­tique se réduit à la manip­u­la­tion de quelques périphériques physiques d’en­trée (clavier, souris, lecteurs divers), de sor­tie (écran, imp­ri­mante, graveur), et d’un inter­face virtuelle ‑sou­vent graphique- qui fait lien entre ces élé­ments, facil­i­tant le traite­ment de l’in­for­ma­tion et dont l’ex­em­ple le plus répan­du est un sys­tème d’ex­ploita­tion appelé « Fenêtres » en anglais.

Sans sys­tème d’ex­ploita­tion, un ordi­na­teur per­son­nel est inutil­is­able et inopérant : il n’est alors pas plus out­il asservis­sant que moyen d’affranchissement.

« Win­dows » est qua­si­ment devenu syn­onyme d’in­for­ma­tique. « Win­dows » n’est pas le fruit d’un esprit génial et phil­an­thropique, comme essayent de le faire croire les biogra­phies offi­cielles, et très cer­taine­ment pas un out­il d’é­man­ci­pa­tion. L’an­cien patron de la firme qui a con­stru­it ce sys­tème a pu dévelop­per ses pro­duits et bâtir son empire grâce aux cap­i­taux économique et rela­tion­nel de son père, avo­cat d’af­faires. Le mod­èle économique dans lequel se développe cette entre­prise, celui du brevet, celui du cap­i­tal­isme jusqu’à son parox­ysme monop­o­lis­tique, induit une pro­tec­tion de la manière de faire, du « savoir-faire » util­isé : le code infor­ma­tique du pro­gramme est masqué et incon­trôlable. Si l’on souhaite dévelop­per une appli­ca­tion requérant une con­nais­sance de ce code, il faut pay­er. Si l’on souhaite mod­i­fi­er cet out­il pour l’adapter à sa pro­pre façon de tra­vailler, de penser, c’est impos­si­ble : il s’ag­it d’un tout, clos (comme une fenêtre avec bar­reau), auquel l’e­sprit doit s’adapter. Et c’est bien là le dan­ger majeur : la manière dont cet out­il a pro­duit une con­cep­tion de l’in­for­ma­tique, à savoir un out­il hyper-com­plexe dont la moin­dre altéra­tion peut engen­dr­er de « graves » con­séquences (les nom­breux mes­sages d’aver­tisse­ment sont là pour l’assén­er), c’est à dire un out­il qui échappe néces­saire­ment au con­trôle de son util­isa­teur, et qui légitime sou­vent un coût financier faramineux pour fonctionner.
La liste des cri­tiques est longue, qu’elle soient tech­niques (qual­ité des pro­duits), éthiques (con­fis­ca­tion des savoirs grâce à des licences pro­prié­taires, restric­tion de l’ac­cès à l’in­for­ma­tion par le refus de l’in­teropéra­bil­ité), poli­tiques (posi­tion monop­o­lis­tique, rôle de la fon­da­tion « phil­an­thropique » du patron his­torique de la firme), les angles d’analy­ses sont multiples…

Mais à l’op­posé de ce choléra infor­ma­tique et de son con­cur­rent pesti­len­tiel le plus direct ‑qui prend ses clients pour des pommes (leur reven­dant après brevet du logi­ciel libre… voie dans laque­lle s’est aus­si engagé « Win­dows »), il existe des alternatives.

Par­al­lèle­ment au déploiement de cette infor­ma­tique pro­prié­taire et sclérosante s’est dévelop­pée une infor­ma­tique libre et puis­sante, sur le mod­èle ini­tial du partage uni­ver­si­taire. Le sys­tème GNU/Linux en est le représen­tant le plus con­nu. Il existe autant de ver­sions de sys­tème GNU/Linux que d’u­til­i­sa­tions pos­si­bles d’un ordi­na­teur, que de manières imag­in­ables d’u­tilis­er un ordi­na­teur. Les out­ils pour créer de nou­velles appli­ca­tions sont à dis­po­si­tion et les ressources doc­u­men­taires sont légions sur la toile. Il est pos­si­ble de com­pil­er ses pro­grammes ain­si que toutes les com­posantes du sys­tème, donc de mod­i­fi­er à satiété, de cuisin­er un ensem­ble qui cor­re­spond à sa manière de faire, et il est tout aus­si pos­si­ble de tout planter, soi-même, c’est par­fois la rançon de la lib­erté ! Il est pos­si­ble d’ap­préhen­der de manière plus glob­ale l’outil, de le re-situer comme objet réel répon­dant d’une part à des réal­ités physiques (du plas­tique, du sili­ci­um et de l’élec­tric­ité) et d’autre part trai­tant de l’in­for­ma­tion suiv­ant les injonc­tions de l’u­til­isa­teur. L’or­di­na­teur perd son statut d’ob­jet mag­ique et la ques­tion de l’ap­par­te­nance des out­ils de pro­duc­tion peut se résoudre, tout du moins au niveau du sys­tème d’ex­ploita­tion et des logiciels.
Le principe du logi­ciel libre tient en qua­tre points : lib­erté d’u­til­i­sa­tion, d’é­tude du code, de mod­i­fi­ca­tion, de redis­tri­b­u­tion avec comme con­di­tion qu’en cas de dis­tri­b­u­tion publique des logi­ciels mod­i­fiés, la com­mu­nauté des util­isa­teurs et développeurs en prof­ite. Ces principes ont été repris et étof­fés dans le con­trat social de la dis­tri­b­u­tion (ver­sion de Lin­ux) Debian. Cette dis­tri­b­u­tion, comme d’autres d’ailleurs, est remar­quable à bien des égards comme syn­thèse des deux prin­ci­pales reven­di­ca­tions du logi­ciel libre : éthique et qual­ité. C’est en ce sens que l’é­tude du fonc­tion­nement de la com­mu­nauté ouverte qui œuvre à ce pro­jet peut apporter quelques lumières et out­ils au pro­jet libertaire.

Les acteurs du logi­ciel libre ont réus­si le tour de force majeur de remet­tre dans l’e­space pub­lic le savoir et les moyens tech­niques qui avaient été con­fisqués par quelques entre­pris­es. Le fait de dis­pos­er d’outils libres per­met de pro­duire du con­tenu libre ! La notion de licence libre a totale­ment débor­dé le cadre de l’in­for­ma­tique et se retrou­ve dans plusieurs champs de créa­tion, en témoigne par exem­ple les licences cre­ative com­mon. Il ne s’ag­it pas d’un épiphénomène de geek : Steve Ballmer ne s’y trompait pas lorsqu’il lançait l’anathème suiv­ant, décrivant Lin­ux « comme un can­cer qui con­t­a­mine la pro­priété intel­lectuelle dès qu’il la touche ». Hadopi dans sa volon­té d’in­stau­r­er de nou­veaux sys­tèmes de brevet ou les ten­ta­tives de cer­tains con­struc­teurs d’or­di­na­teur per­son­nel de blo­quer l’in­stal­la­tion d’autres sys­tèmes d’ex­ploita­tion que « Win­dows » sont autant d’ex­em­ples d’at­taques portées à cette liberté.

Puisqu’une grande par­tie du tra­vail mil­i­tant est la dif­fu­sion des idées anar­chistes, il est légitime de penser que les organ­i­sa­tions lib­er­taires doivent se saisir de ces out­ils et en retour les pro­mou­voir, comme elles se sont appro­priées des imprimeries en Espagne à une époque pas si lointaine.