Hasard éton­nant, la réu­nion inti­t­ulée « Per­spec­tive révo­lu­tion­naire du fémin­isme » a regroupé autant de femmes que d’hommes. La présence impor­tante de par­tic­i­pant-e‑s ne grav­i­tant pas spé­ciale­ment autour du col­lec­tif lib­er­taire mon­tre que le sujet n’est cer­taine­ment pas passé de mode. L’amorce des échanges, mal­gré deux textes intro­duc­tifs bien ficelés, a été un peu crispé, le thème requérant un min­i­mum d’at­ten­tion quant à la for­mu­la­tion des idées (puisqu’en gram­maire, le neu­tre est mas­culin, le lan­gage est-il neutre ?).

Très vite la dis­cus­sion a embrayé sur le tra­vail salarié, et s’est longue­ment cristallisée sur ce point. Les témoignages, les réflex­ions et les analy­ses partagés ont bien réaf­fir­mé que l’é­gal­ité des droits entre les femmes et les hommes n’é­tait pas du tout établie dans ce domaine. Si l’u­til­ité des reven­di­ca­tions en terme d’é­gal­ité salar­i­ale a bien été explic­itée (thème élec­toral­iste très en vogue actuelle­ment, au demeu­rant), si l’ac­cent a été mis sur la pré­cari­sa­tion gran­dis­sante des femmes en pri­or­ité en cette péri­ode d’of­fen­sive ultra-libérale, le point de vue révo­lu­tion­naire n’a pas pu être vrai­ment dévelop­pé suite à un quipro­quo interne au col­lec­tif sur le rap­port entre tra­vail et salari­at (non le tra­vail n’est pas le salari­at, cama­rade !!! Un prochain débat pub­lic du col­lec­tif sera donc sur le tra­vail, après révi­sions des fon­da­men­taux…). Aus­si dans une per­spec­tive anar­cha-fémin­iste la reven­di­ca­tion de l’é­gal­ité des salaires ne peut se faire que simul­tané­ment avec la reven­di­ca­tion immé­di­ate de l’abo­li­tion du salariat.

Une ten­ta­tive pour réfléchir sur les notions de fémin­isme, de pro-fémin­isme et d’an­ti-sex­isme n’a pas sus­cité beau­coup d’en­t­hou­si­asme. Doit-on par­ler de fémin­isme ou la notion d’an­ti-sex­isme est-elle suff­isante pour con­cevoir les luttes ? Le fémin­isme est-il dis­crim­i­na­toire parce que lutte spé­ci­fique des femmes ? Et de fait, les hommes ne sont-ils que pro-fémin­istes ? Répons­es pro­posées : le fémin­isme s’in­scrit dans une his­toire d’é­man­ci­pa­tion des femmes par elles-mêmes, l’an­ti-sex­isme n’est donc pas suff­isant pour ren­dre compte de cette lutte qui n’est cer­taine­ment pas exclu­sive­ment fémi­nine, les hommes pâtis­sant aus­si des effets du patri­ar­cat. Et une ques­tion en amenant une autre : faut-il être vic­time de racisme pour être anti-raciste ?

Puis, détour par la notion d’assig­na­tion sex­uelle des rôles (« Je ne veux pas devoir être un mécano mus­clé à cause d’un idéal-type mas­culin ! », tel a été le cri de détresse d’un cama­rade), hom­mage rapi­de à Alexan­dra Kol­lon­taï et à Fed­er­i­ca Mon­ste­ny, glis­sade et grand écart biblique sur la côte d’Adam (fou rire de l’assem­blée), cro­chet sur le machisme ram­pant dans les struc­tures mil­i­tantes de tout poil, évo­ca­tion des kib­boutz comme mod­èle de remise en cause du sys­tème d’é­d­u­ca­tion, petit à petit les pro­pos se sont libérés, mais la con­trainte du lieu nous a rat­trapé : la fer­me­ture des portes est à 23H00. Tout ce qui a trait au cou­ple, à la famille, à la sex­u­al­ité, à la con­tra­cep­tion, à la réap­pro­pri­a­tion du corps, à sa marchan­di­s­a­tion, à la pros­ti­tu­tion, à la pornogra­phie, etc. a été peu ou prou abordé.

Si aucune idée révo­lu­tion­naire n’a été pro­duite lors de cette réu­nion, les quelques pistes ébauchées prou­vent, s’il en est besoin, d’une part la néces­sité de per­sévér­er dans les luttes engagées con­tre le patri­ar­cat, d’autre part que les angles d’at­taque sont trop nom­breux pour être appréhendés d’un seul coup. En ce sens, l’im­por­tance de réfléchir à la manière de trans­met­tre le flam­beau a aus­si été souligné : comme l’a fait remar­quer une nou­velle par­tic­i­pante, des con­cepts comme « per­spec­tives révo­lu­tion­naires » et « fémin­isme » ne vont pas for­cé­ment de soi pour les jeunes générations.