Cet arti­cle a été relayé par plusieurs médias, nous en parta­geons l’analyse.

Cher patron de Fakir (aus­si patron de Mer­ci Patron),

Par­don­nez notre hardiesse, mais il est temps que nous par­lions. On ne se con­nait pas mais nous avons eu maintes fois l’occasion de nous crois­er lors de rassem­ble­ment sur Amiens. Per­me­t­tez-nous donc de vous tutoy­er, es-tu d’accord ? Nous sommes notam­ment venu.e.s ce fameux 12 mars où, à la suite de la sor­tie de ton film Mer­ci Patron, nous nous réu­nis­sions pour faire enfin peur à nos dirigeant.e.s. Sache, cher François, que nous en avons marre d’être les bonnes bet­ter­aves de la farce ! A force d’appeler « révo­lu­tion » la moin­dre ker­messe mil­i­tante, la masse que tu appelles de tes vœux au soulève­ment, finit par avoir mieux à faire. Si la masse était un bar­il de poudre, tu voudrais être une étin­celle ; à l’instar d’un de tes amis qui, un jour, en se réveil­lant, décidera qu’on est le matin du grand Soir, mais pour l’instant les Français.es ne sont pas assez matures pour l’autogestion. Pens­es-tu vrai­ment que c’est avec La petite mai­son dans la prairie que l’on ira « chercher tous les Klur » ? Ou faut-il y com­pren­dre, de manière fig­urée, une néces­sité de retour à la terre ? Si c’est le cas, milles excuses.
Nous avons été ravi.e.s de nous retrou­ver sur la place de la Mai­son de la cul­ture, ce 12 mars, appren­dre le haka de la peur, écouter ton ami Lor­don, et chercher dés­espéré­ment le départ de la man­i­fes­ta­tion (nous avons donc aban­don­né) sachant qu’en plus il fai­sait beau. Cepen­dant, peu d’entre nous n’ont été dupes de ta stratégie de com­mu­ni­ca­tion autour de ton film. D’ailleurs, per­met-nous de te féliciter pour son suc­cès ! C’est bien fort de ce suc­cès que nous déci­dons de le voir, lors d’une pro­jec­tion publique (et gra­tu­ite) dans le cam­pus occupé. On nous avait promis une franche rigo­lade et en sor­tant, nous sommes sub­mergés de tristesse, mêlée de honte et de colère. N’aurions-nous pas com­pris ? Notre cri­tique est-elle réduite à notre manque de légèreté ? Ou peut-être que ton film soulève des prob­lé­ma­tiques où les répons­es apportées nous font gliss­er sur une pente à dou­ble tranchant…


Nous com­prenons qu’il porte ce que tu appelles de tes vœux : réc­on­cili­er les class­es pop­u­laires et les class­es moyennes dans une lutte com­mune con­tre l’oligarchie ; mais les moyens que tu mets en œuvre nous parais­sent man­quer de finesse et débor­der d’égo.
Non, ton pro­jet n’est pas révolutionnaire…
Ta vision de la réc­on­cil­i­a­tion entre class­es pop­u­laires et class­es moyennes nous ques­tionne, car, pen­dant 50 min­utes, on assiste surtout au jeu d’un intel­lectuel de gauche, instru­men­tal­isant la mis­ère de la famille Klur pour s’enorgueillir du rap­port de force que son jour­nal con­stru­it avec LVMH et Bernard Arnault. AhAh c’est trop drôle quand tu te fais sor­tir de l’AG… C’est une démon­stra­tion pitoy­able de ce que tu pens­es être une alliance.
Quant à l’empathie des class­es moyennes ver­sion Bien­v­enue chez les ch’tis, cela/elle ne ren­force en rien l’alliance avec les class­es pop­u­laires et détourne le film d’un quel­conque pro­jet poli­tique éman­ci­pa­teur. C’est d’ailleurs peut être grâce à ton film que le pre­mier volet de La rue des allocs se déroule à Amiens ? On vient chercher les bons pau­vres en Picardie !
Si la sim­plic­ité peut être force de rassem­ble­ment, la car­i­ca­ture que tu fais des per­son­nages de ton film, aus­si réels soient-ils, les trans­forme en objets pas­sifs. Ils sem­blent, mal­gré eux, embar­qués dans une folle aven­ture, et devi­en­nent la toile de fond dans l’histoire de SF (Super Ruf­fin ou Sci­ences Fic­tion, selon votre con­ve­nance) où un super héros prend toute la place (même celle du fils, présent).
Ain­si, si ce film romance une lutte, il s’agit de la tienne François ! Et si nous avons les utopies qu’on mérite, espérons qu’elles peu­vent aller au-delà d’un CDI à Car­refour, même pour les Klur !
Et non, tu n’es pas Robin des bois !
Si robin des bois vole aux rich­es pour don­ner aux pau­vres, il leur apprend aus­si à se bat­tre et à s’organiser col­lec­tive­ment ; qu’en est-il de ruf­fin des champs (de bet­ter­aves) qui hum­i­lie ces mêmes pau­vres en les enfer­mant dans l’assistance de son leadership ?
Entre bien­veil­lance et mépris de classe, il n’y a par­fois qu’un pas…et tu dérapes… Espérons que tu as récupéré la ges­tion du compte ban­caires des Klur, car comme tu le laiss­es enten­dre, les pau­vres ne savent pas gér­er leur argent autrement qu’en le dépen­sant ! Oups…nous aus­si. Et quel pater­nal­isme autori­taire ! Tu exprimes volon­taire­ment des références que tu nommes « popu », pour que tout le monde s’y retrou­ve mais en obser­vant la salle dans laque­lle nous étions, il s’agit bien de ces mêmes élé­ments popu dont les spectateur.rice.s rient. Tu n’as pas été jusqu’à met­tre des sous-titres pour aider à la com­préhen­sion de l’accent picard mais nous pen­sons que ça n’aurait sans doute pas plus choqué que ça ! Com­ment com­pren­dre le choix de la déco­ra­tion que tu souhaites ajouter dans le salon pour plan­quer ton matériel d’enregistrement ? Com­ment com­pren­dre le choix de mon­ter la scène de répéti­tion des négo­ci­a­tions entre toi et le père Klur, façon bétisi­er ? Après Les maçons du cœur, sur TF1, qui pro­posent de finir les travaux d’une mai­son, à quand Les rançons du cœur, qui pro­posent à une famille de raque­t­ter 30 000 euros à leur ancien patron et d’être fig­u­rant dans un film.

En espérant que tous les pau­vres de la Picardie voire de la France aient ton con­tact et qu’il te reste un peu d’imagination pour ren­dre crédi­ble tes can­u­lars, nous te souhaitons bonne chance pour ta car­rière poli­tique. Peut-être nous retrou­verons-nous aux prochaines élec­tions munic­i­pales ! (Si les urnes ne vont rien chang­er, c’est la classe quand même d’être maire, c’est un peu être chef !)

Si la cri­tique peut être drôle, on veut juste te dire qu’on a détesté ton film !”
Le groupe Ker’messes Libres