Il est loin, le temps où les flâneurs avaient la ville pour ter­rain de jeu et pour seul but l’espoir de l’inattendu ou de la beauté. Les cités, cen­sées être des lieux de vie, sont dev­enues les vit­rines asep­tisées d’un mod­èle nor­mal­isant, sécu­ri­taire, où les espaces de con­som­ma­tion envahissent les lieux de ren­con­tre. Les badauds sont con­trôlés par les caméras, les pau­vres sont repoussés dans les périphéries, et les artistes sont cachés ago­nisants dans les musées.
Dans la gri­saille ambiante cer­tains arrivent à raviv­er les couleurs du passé. Les sou­venirs d’une ville ne sont pas si faciles à effac­er. Les pier­res ont beau être net­toyées, la pelouse plan­tée, les tem­ples con­stru­its, les march­es n’oublient pas le sang ver­sé. Là où débutèrent les pre­miers com­bats le 18 mars 1871 de ce qui devien­dra la Com­mune de Paris, a été con­stru­ite, qua­tre ans plus tard, une église dite du Sacré-cœur ; rien de moins qu’une insulte à ceux qui s’étaient bat­tus pour leur liberté.

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Ernest Pignon Ernest, Les Gisants de la Com­mune, Paris, 1971

A l’aide d’une presse séri­graphique (tech­nique ren­due pop­u­laire pen­dant  Mai 68, voir Le Poing n° 16), les Gisants de la Com­mune, renais­sent par cen­taines, dans les rues de Paris en 1971. Extrême­ment réal­istes, à l’échelle 1, les dessins de ces corps vont imprégn­er les pavés et coller aux march­es des lieux d’une répres­sion sanglante. Si l’histoire a hon­oré à de trop nom­breuses repris­es et dans de trop nom­breux sites le nom d’Adolphe Thiers, sous nos pas, les anonymes ressur­gis­sent par le biais de l’artiste Ernest Pignon Ernest, dans les rues d’une ville pour laque­lle ils sont morts.

L’artiste est un passeur. Par l’image fic­tion­nelle il réveille un passé enfoui, des caus­es légitimes et plus que tout un espoir ren­ver­sant venu de ceux qui ont su, un jour, se saisir de leur vie. A nous, à leur exem­ple, de nous réap­pro­prier un espace qu’on nous vole petit à petit. Nous mar­chons, respirons dans ces rues, nous les usons, les recon­stru­isons et pour­tant nous oublions cette évi­dence que les villes appar­ti­en­nent à ceux qui les habitent. Elles sont une exten­sion de nous-même, car les ren­con­tres, les con­vic­tions et les révo­lu­tions ne se font pas der­rière des murs.

Le chat

* Extrait d’une let­tre de Gus­tave Courbet à ses par­ents, 30 avril 1871