Si ce Premier mai a été l’occasion de goûter à nouveau au plaisir du collectif lors des nombreux rassemblements et défilés rituels, nous, militantes et militants du groupe Georges Morel de la Fédération anarchiste, déplorons les attaques qui ont été menées contre les militantes et les militants du service d’ordre de la CGT, en fin de manifestation à Paris.
Il n’est pas question pour autant d’opposer les différentes modalités d’actions à disposition du mouvement social, qu’elles relèvent de l’action syndicale classique ou de tactiques d’affrontements plus directes avec les forces répressives de l’État.
Or, ici, il y a eu une confusion entre la police de la bourgeoisie capitaliste et le service d’ordre d’une organisation de masse, héritière d’une tradition de lutte ouvrière, confusion assumée par l’expression du slogan « CGT collabo ».
Dans le contexte actuel de large diffusion des idées d’extrême droite, le fait de rouer de coups un syndicaliste au sol ne peut être justifié par les erreurs idéologiques et pratiques dont savent faire preuve certains membres de la CGT. Ces actes rappellent bien trop la chasse aux militants politiques et syndicalistes des années trente.
C’est pourquoi, nous, militantes et militants anarcho-syndicalistes du groupe Georges Morel de la Fédération anarchiste, exprimons notre solidarité avec les camarades qui ont subi cette attaque. Nous rappelons aussi que l’établissement d’une société libertaire débarrassée de toutes les oppressions ne pourra se faire que grâce à des principes d’entraide, de respect et de solidarité mutuels.
Catégorie : Billets d'humeur (Page 1 sur 2)
Nous publions, avec son autorisation, un texte de Philippe Pelletier, enseignant-chercheur et géographe libertaire, analysant la crise actuelle liée à l’épidémie de Covid-19.
L’origine de la « crise sanitaire » actuelle du Covid-19 — qui est en réalité une « crise » bien plus globale — et son extension donnent lieu à de nombreuses analyses. Il est évidemment tentant d’y rechercher une confirmation de ses petites théories. Mais les phénomènes étant par définition inédits et possiblement imprévus tels quels — contrairement aux philosophies de l’histoire — il faut s’attacher à ce qui se passe réellement, tout en étant conscient du tourbillon entre le trop et le pas assez d’informations.
Parmi tous les phénomènes qui caractérisent l’actuelle pandémie, deux doivent plus particulièrement attirer notre attention : l’État (sa nature, son rôle) et les médecins (leur rapport au politique et à la science, notamment). Ces deux questions paraissent essentielles pour comprendre ce qu’il se passe et ce qu’il risque d’arriver à l’issue de la crise. L’aphorisme de « gouverner, c’est prévoir » ayant fait preuve de son impertinence dans bien des cas, il n’implique pas que nous, individuellement ou collectivement, restions sans réfléchir au présent ou à la suite.
Notre condition d’existence matérielle commune, celle de notre classe sociale, est d’être condamné.e.s au salariat.
Nous sommes obligé.e.s de vendre notre force de travail pour avoir un salaire à la fin du mois. Ainsi, les capitalistes ne possèdent pas seulement les moyens de productions, ils possèdent nos vies. Plus nous travaillons et plus ils s’enrichissent, notre précarité est la conséquence de leurs dividendes. Mais il reste une chose qui nous permet de supporter cette misère : la perspective du départ à la retraite.
La retraite est une petite goutte de solidarité dans l’océan de misère capitaliste. Elle permet de finir ses jours sans obligation de travailler, avec un revenu décent. Cette goutte n’est pas tombée du ciel, elle a été obtenue par la lutte. Aux lendemains de la seconde guerre mondiale, le système de retraite a été créé, bâti et défendu par des militantes et militants de la CGT. Malgré l’opposition acharnée des partis de gouvernement, gaullistes ou socialistes de la SFIO, ces syndicalistes seul.e.s contre tous.te.s ont réussi à conquérir ce petit bastion de liberté.
Ce bastion, aujourd’hui, il est question de le pulvériser, de le réduire à une simple antichambre de la mort.
Repoussée de deux ans, incalculable à l’avance, moins bien indexée sur le coût de la vie, ne prenant plus en compte ni la maternité ni la pénibilité du travail, toujours plus injuste pour les femmes et les précaires, rabotée de 25%, voilà quelle gueule va tirer notre retraite après avoir subi cette réforme. Bilan : les riches se payeront une mutuelle, les autres pourront à peine se payer leurs cercueils.
La retraite était une perspective qui nous permettait d’endurer le pire en se disant « vivement la retraite », un compromis. Maintenant, alors que la capitalisme détruit l’environnement et que cette réforme détruit nos perspectives de vie après le salariat, le pire est devant nous.
Mais si nous n’avons plus de retraite décente, alors nous n’avons plus de raisons décentes d’aller travailler.
Devra-t-on vraiment se crever au travail sur une planète mourante ?
Non, il est temps de déserter massivement les bureaux et les usines.
Le temps de la grève générale est venu.
Notre syndicalisme doit rompre avec tout fonctionnement autoritaire et toute négociation.
Notre syndicalisme doit faire refleurir partout les assemblées générales, les manifestations, les blocages, les occupations et toutes autres actions directes nécessaires pour mettre à bas le capitalisme et sauver nos vies.
Notre syndicalisme doit être anarchiste, c’est à dire qu’il doit tendre à l’abolition de toutes les dominations passant par la nécessaire expropriation des capitalistes et la réorganisation de la production dans l’intérêt de tous et toutes.
La perspective de partir à la retraite s’érode ? Celle de la révolution se renforce.
Destituons Macron et mettons le capitalisme à la retraite.
VIVE LA GRÈVE GÉNÉRALE EXPROPRIATRICE !
Collectif Alexandre Marius Jacob – Groupe Georges Morel de la Fédération Anarchiste – CNT Somme – Groupe lycéen Louise Michel
Passer en revue la « méthode Alinsky » pour reprendre l’expression sous laquelle les idées d’Alinsky sont transposées dans le travail social et le militantisme en France peut se décliner sur plusieurs axes.L’objet de notre brochure « Quelles règles pour les radicaux ? » sera donc prioritairement une analyse de Rules for Radicals : A Pragmatic Primer for Realistic Radicals traduit dans sa première version française en « Manuel de l’animateur social »(1). Reprenant un titre et un sous-titre étant plus fidèles à la version originale, il a également été édité récemment sous le titre Être radical : Manuel pragmatique pour radicaux réalistes.
Parfois présenté comme « a god hating anarchist » par certaines fanges de la droite aux États-Unis et blâmé pour son influence réelle ou supposée sur le parti Démocrate et l’État Fédéral ; en France, il est très largement promu par l’Institut Alinsky, l’Alliance Citoyenne, le mouvement Les Désobéissants, dont on retrouve une forme de déclinaison locale avec la Boîte Sans Projet et également dans le champ partisan par Francois Ruffin et La France Insoumise. Globalement, le champ du travail social et la gauche associative et citoyenne ont été pénétrés par ses idées. Cette promotion passe par la réédition de Rules for Radicals et des formations à la « méthode Alinsky ». Ces promoteurs, notamment les membres de l’Institut Alinsky, ou Les Désobéissants deviennent comme les premiers organisateurs de l’Industrial Area Foundation, des permanents de la radicalité, rémunérés notamment pour les formations au militantisme qu’ils réalisent. Le démarchage de la clientèle de ces formations se fait tout simplement par le multipositionnement dans les réseaux militants et dans les collectifs de luttes naissant où sont d’abord proposées des formations pratiques gratuites comme produit d’appel avant la proposition de formations payantes avec tarifs préférentiels pour les personnes en difficultés. Certaines de ses organisations vivent également de formations dispensées pour les membres d’associations, les salariés d’entreprises ou de collectivités territoriales. En définitive pour qui milite suffisamment longtemps dans la gauche et l’outre-gauche contemporaine, il est difficile de ne pas croiser un promoteur de la méthode Alinsky et c’est d’ailleurs ce qui motive notre texte.
On notera que ces idées sont introduites en France sous couvert de l’expression de « méthode » et sous la forme d’une liste d’étapes à respecter, sans doute pour rassurer sur la supposée rationalité et efficience des techniques présentées auprès des particuliers et des associations. Si « Rules for Radicals » y est mentionné, à aucun moment son contenu n’est réellement discuté, et cela est l’objet de notre brochure. Puisque parler des « théories d’Alinsky » ou de « l’idéologie d’Alinsky » serait sans doute trop ouvrir la porte à une critique sur le fond de cet outillage. Cela est cohérent, Alinsky lui-même se mettant dans une posture anti-idéologique, du réalisme, du pragmatisme. Une rhétorique tellement usée par la droite (française et internationale) qu’elle nous paraît un bien misérable cache-sexe pour avancer une idéologie particulière. Idéologie est ici bien entendu dans le sens de système plus ou moins cohérent, et pas forcément conscient, d’idées permettant de poser un regard sur le monde passé, présent et à venir… Prétendre être dépourvu d’idéologie pour le monde social est comme prétendre être dépourvu de perception pour le monde physique.
Au printemps dernier, à Amiens comme ailleurs, jeunes et moins jeunes se sont réveillés au son d’une loi Travail injuste et régressive. Campus investis en lieu de vie et de débats, manifestations festives, nuits debouts sous la pluie. Les amiénois s’organisaient, pendant que la colère devenait générale.
Mais plus la prise de conscience montait plus les flics suréquipés se montraient. Plus nous comprenions que cette loi mettait en péril toutes les luttes sociales, plus l’intimidation progressait. Vous et moi, étions ce vent de contestations et, visiblement, nous leur avons fait peur.
Premières convocations aux commissariats : on interroge, on cherche la délation. Premières garde-à-vues, c’est l’attente devant le commissariat pour voir sortir nos camarades, 12h… 24h … 36h… L’Etat d’Urgence justifie la déraison. Et comme toute mécanique bien huilée, la première attaque directe contre mouvement social sème la division parmi les manifestants. Il nous faut alors réagir rapidement, subir le contrecoup. Comment tenir devant les condamnations qui pleuvent ? Les militants les plus isolés sont touchés : ils sont sans emploi, sans parti, sans syndicat. Sursis, prison ferme, amendes… Une quinzaine de personnes voit leurs avenirs, leurs projets s’effondrer.
Pendant ce temps, la Mairie d’Amiens soigne son image : belles rues, belles décorations de Noël, invitation à accepter un travail précaire chez Amazon. Mais surtout, elle réclame des dizaines de milliers d’euros à des manifestants et fait payer le droit de se réunir aux associations.
Aujourd’hui, à Amiens comme ailleurs, vous et moi sommes pourchassés, assommés, réduits au silence. Alors que les médias poussent à l’oubli, la répression continue. Pour une participation à une manifestation à Paris en mai 2016, un camarade arrêté et jugé (coupable, pas besoin de le préciser) attend de savoir à la fin de ce mois de janvier quelle privation de liberté, il devra subir. Six mois avec un bracelet sont requis par le procureur. Enchainer un homme, le garder à l’œil, voilà le seul courage de l’Etat.
Les socialistes ont donné les bases du prochain gouvernement. Encourager la coercition et (re)mettre SES citoyens, dans SES cases : travailler et se taire. Surtout se taire. Comment oser contester, juste s’exprimer, quand pour une simple manif., chacun risque la prison ? L’enfermement c’est nier qu’on est humain, nier qu’on est égaux.
Le gouvernement s’oppose au peuple, à vous et moi de réagir.
Le chat
Cet article a été relayé par plusieurs médias, nous en partageons l’analyse.
“Cher patron de Fakir (aussi patron de Merci Patron),
Pardonnez notre hardiesse, mais il est temps que nous parlions. On ne se connait pas mais nous avons eu maintes fois l’occasion de nous croiser lors de rassemblement sur Amiens. Permettez-nous donc de vous tutoyer, es-tu d’accord ? Nous sommes notamment venu.e.s ce fameux 12 mars où, à la suite de la sortie de ton film Merci Patron, nous nous réunissions pour faire enfin peur à nos dirigeant.e.s. Sache, cher François, que nous en avons marre d’être les bonnes betteraves de la farce ! A force d’appeler « révolution » la moindre kermesse militante, la masse que tu appelles de tes vœux au soulèvement, finit par avoir mieux à faire. Si la masse était un baril de poudre, tu voudrais être une étincelle ; à l’instar d’un de tes amis qui, un jour, en se réveillant, décidera qu’on est le matin du grand Soir, mais pour l’instant les Français.es ne sont pas assez matures pour l’autogestion. Penses-tu vraiment que c’est avec La petite maison dans la prairie que l’on ira « chercher tous les Klur » ? Ou faut-il y comprendre, de manière figurée, une nécessité de retour à la terre ? Si c’est le cas, milles excuses.
Nous avons été ravi.e.s de nous retrouver sur la place de la Maison de la culture, ce 12 mars, apprendre le haka de la peur, écouter ton ami Lordon, et chercher désespérément le départ de la manifestation (nous avons donc abandonné) sachant qu’en plus il faisait beau. Cependant, peu d’entre nous n’ont été dupes de ta stratégie de communication autour de ton film. D’ailleurs, permet-nous de te féliciter pour son succès ! C’est bien fort de ce succès que nous décidons de le voir, lors d’une projection publique (et gratuite) dans le campus occupé. On nous avait promis une franche rigolade et en sortant, nous sommes submergés de tristesse, mêlée de honte et de colère. N’aurions-nous pas compris ? Notre critique est-elle réduite à notre manque de légèreté ? Ou peut-être que ton film soulève des problématiques où les réponses apportées nous font glisser sur une pente à double tranchant…
Et voilà, l’Etat encore une fois valet du Capital a frappé : huit anciens salariés de Goodyear ont été condamnés à 24 mois de prison dont neuf fermes pour de soit-disant violences. En fait ils ont eu le culot suprême de retenir dans l’usine deux cadres de la direction Goodyear Amiens Nord, pas de violences, pas de maltraitances, et « libération » des deux après 30 heures. Eux qui voulaient imposer les 4×8, ils ont eu un avant-goût des cadences infernales…
En fin de conflit, un accord est signé avec la direction et toutes les plaintes sont retirées. Mais voilà qui ne convient pas à nos chers politicards, et particulièrement au trio de comiques : Hollande, Valls, Macron. Alors on enfonce le clou et le procureur général valet du parquet se déchaîne. Ils n’en ont pas assez de l’état d’urgence, ils s’attaquent maintenant aux travailleurs les plus combatifs, aux militants syndicaux, à la lutte sociale, à tous ceux qui se battent pour l’émancipation, la justice, le bien-être, la liberté.
Les premières rencontres libertaires amiénoises du XXIème siècle ont eu lieu le samedi 06 juin. Il faisait beau. C’était convivial et très instructif. Nous le devons à l’intervention de camarades parisiens de la Fédération anarchiste qui ont partagé avec l’assemblée leurs expériences et réflexions. Nous les en remercions encore chaleureusement.
Lors de l’exposé, il a été notamment question de l’adhésion de la F.A. à la Sexta, et donc du Chiapas. La Sexta est la sixième déclaration de la forêt Lacandone. Elle s’inscrit dans le long processus d’émancipation collective chiapanèque rendu visible par l’insurrection des indigènes, le 1er janvier 1994 au Mexique.
Pour saisir ce qui se joue depuis plus de trente ans au Chiapas, en tant que lieu de résistance civile et pacifique au modèle néo-libéral et comme espace de création d’alternatives concrètes, le livre de Guillaume Goutte, Tout pour tous ! L’expérience zapatiste, une alternative concrète au capitalisme, est un très bon outil.
Cet ouvrage synthétique explique comment le mouvement zapatiste s’inscrit dans une histoire vieille de cinq cents ans, celle de la résistance des peuples indiens aux oppressions, depuis la colonisation des Amériques jusqu’au capitalisme contemporain. Le récit de la constitution de l’Armée zapatiste de libération nationale (EZLN) vient ensuite, ainsi que celui du dépassement critique du marxisme-léninisme et du guevarisme qu’elle a effectué au contact des populations locales. Deux chapitres sont enfin consacrés à l’organisation de la vie civile, aux réalisations collectives en termes d’éducation, de santé, et d’économie, et à l’inscription de ces actions dans un réseau international. Les contradictions apparentes (quel rôle peut jouer une armée, fût-elle zapatiste, dans la construction d’une société réellement démocratique ?), les difficultés d’un tel projet, et les réflexions menées sur la pertinence de le penser comme un modèle reproductible sont traitées sans fard.
Et c’est prophylactique. Car à l’heure des sérénades podemiques et post-syrizesques, il est grand temps de ramer à contre-courant des rivières de l’oubli médiatique, celles de l’information immédiate, de la mode et du présent permanent qui oblitèrent la détermination, la persistance, l’étendue, et le succès des réelles alternatives en actes. Loin des clôtures électoralistes, notre réappropriation de l’activité politique requiert une redéfinition collective des frontières du pensable pour progresser sur les chemins de l’émancipation commune, accompagnés, en pensée, de Don Durito de la forêt Lacandone(1). Ya Basta !
References
↑1 | Don Durito, scarabé chiapanèque fumeur de pipe, est un compagnon du sous-commandant Marcos. Il voyage, sur sa tortue nommée Pégase, afin d’affiner ses réflexions politiques dont on peut trouver quelques morceaux choisis dans le recueil éponyme Don Durito de la forêt Lacandone aux Editions de la Mauvaise Graine. |
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Cet été, une camarade attirait l’attention de la rédaction sur la tenue d’un cours dispensé par l’Université Populaire d’Amiens intitulé « Le gouvernement contre l’Etat ». Appelés sur d’autres fronts de luttes le jour même, ce n’est que grâce à la mise en ligne sur internet de cette conférence que nous avons pu en apprécier le contenu. Une partie conséquente de l’exposé est consacrée à l’anarchisme, avec pour volonté affichée de réhabiliter ce courant politique parce qu’il questionne le principe d’autorité. L’entreprise est dans l’ensemble sympathique, mais boit le bouillon au final. Décryptage…
En format vidéo, le discours de l’intervenant est entrecoupé de passages de documentaires, clips, films, etc. étayant la démonstration. C’est assez drôle, ça allège le propos. Mais ça dérape très vite. Pour souligner le fait que l’assimilation de l’anarchie au désordre est une construction du pouvoir bourgeois, un extrait d’une interview d’Etienne Chouard est introduit. Certes son intervention est intéressante, mais c’est faire fi un peu rapidement de sa complaisance à l’égard de l’extrême-droite. Ou comment tirer une balle dans le pied du voisin qu’on voudrait sauver !
Outre cette « faute de goût », il est dommage de n’avoir pas poussé davantage sur le concept d’« Etat ». Selon le conférencier, « l’Etat est l’ensemble des institutions qui servent à réguler la vie sociale », ce qui lui permet d’affirmer dans la foulée que l’anarchie est compatible avec l’Etat. Effectivement, à ce niveau tout n’est question que de définition…
Quitte à convoquer l’anarchisme pour évoquer la question de l’autorité, autant poursuivre vers celles de la légitimation et de la légitimité. Et quitte à citer quelques auteurs, pourquoi se priver d’un poids lourd en la matière ? Parmi d’autres réflexions, celle-ci, de Pierre Bourdieu, tirée de Sur l’Etat, ouvre bien des pistes : « Un certain nombre d’agents qui ont fait l’État, et se sont faits eux‑mêmes comme agents d’État en faisant l’État, ont dû faire l’État pour se faire détenteurs d’un pouvoir d’État » (p. 69, Éditions du Seuil, collection « Raisons d’agir »)
Mais ce n’est pas cette omission qui interpelle le plus. Ce qui plombe vraiment la séance c’est paradoxalement la mauvaise compréhension de l’anarchisme et de son histoire par l’orateur. D’un côté il proteste sincèrement contre les lois scélérates de 1894 – sans explicitement les nommer – et d’un autre il discrédite le mouvement anarchiste en le limitant, de manière répétée, à une composante individualiste mal comprise : le lien qu’il induit avec l’individualisme néolibéral est totalement insupportable, individualisme qui, en l’occurrence, s’articule sur une opposition stérile entre individu et société.
User de tels raccourcis, c’est ignorer complètement la richesse et l’histoire collective de l’anarchisme. Qu’en est-il des Pelloutier, Griffuelhes, Pouget, et de la CGT ? Quid de la Makhnovchtchina et de l’Espagne de 36 ? De l’IFA, de l’AIT, d’Anarkismo ? En quoi ces projets politiques d’émancipation collective passés et présents n’auraient pas été et ne seraient pas assez collectifs ?
C’est bien dommage !
L’université populaire a aussi pour raison d’être de permettre à celles et ceux qui savent mais qui n’ont pas la légitimité institutionnelle (d’Etat ?) pour professer de se réapproprier la parole et la possibilité de partager leur savoir sans que quelqu’un parle à leur place. Les anars de tous poils ne manquent pas à Amiens, qu’ils soient organisés ou non. Ça n’aurait pas été bien difficile d’en dégoter quelques spécimens pour échanger avec eux sur les perspectives de luttes collectives autour d’une bière et de cacahuètes.
L’heure est grave ! Pour certains du moins, d’après ce titre surprenant du courrier Picard, mais pas pour les libertaires. Le changement n’a peut-être pas encore sauté aux yeux des nombreux travailleurs qui empruntent quotidiennement cet axe névralgique d’Amiens, mais la rue Saint-Fuscien est bien un espace autogéré.
Petite explication.
Auto-proclamée hors N.F. (et hors Tafta) cette zone autonome (temporaire ?) a vu ses places de parking bitumeuses remplacées par des bosquets de plantes luxuriantes et délicieusement odorantes. Les horodateurs ont été abattus. Çà et là, à l’opposé des politiques urbaines sécuritaires contemporaines, ont été disposés aléatoirement des bancs pour que des êtres humains puissent se rencontrer et échanger dans les espaces communs qu’ils se sont ré-appropriés. Pour l’anecdote, quelques farfelus ont bâti un colombier sur les ruines des Illustrations picardes, place de l’Assassin Joffre, avec des matériaux de récupération.
Fait remarquable l’endroit semble jouir d’un micro-climat qui le sauve de la grisaille habituelle. Et la végétation repousse les effluves pestilentielles (et très probablement toxiques) des usines chimiques situées en périphérie de la ville.
La jonction a été faite avec les jardins ouvriers du Faubourg de Noyon, après avoir détruit quelques bâtiments inutiles de la République. Les habitants s’organisent pour la répartition des tâches à venir pour les futures cultures, et l’on discute ferme mais avec succès des modalités de prises de décisions collectives, de la rotation et du tuilage des mandats impératifs et de la façon de redistribuer équitablement les productions. Tout cela est rendu possible par l’absence des partis politiques et des syndicats réformistes, lesquels sont naturellement trop occupés à ne rien faire pour l’émancipation des individus.
Du côté de la mairie c’est un mélange d’indignation, d’effroi et de stupeur qui agite les zélés élus de la drauche comme de la groite. Certains se sont évanouis en apprenant que les antennes-relais de téléphonie mobile avaient été démontées et que la construction d’un aérogénérateur sur le modèle d’un badgir persan avaient débuté dans la cour de la DRAC…
Et le phénomène semble s’étendre. Ainsi lors d’un match amical de hoquet au Coliseum, survolant la foule comme une respiration printanière, la rengaine suivante a fusé à maintes reprises dans plusieurs tribunes :
“NDDL, SIVENS, SAINT-FUSCIEN, MEME COMBAT !!!”